Il est toujours difficile pour un non spécialiste de faire la différence entre anticolonialisme et postcolonialisme. Dans un article paru dans Le Point et dont le titre est assez accusateur, Kamel Daoud s’en prend au postcolonialisme et montre une volonté consciencieuse à dépasser sa situation de postcolonial, une volonté naïve dont la moindre des choses que l’on puisse dire est d’une propension Quixotique à affronter des moulins à vent. Constater qu’un auteur issu d’une société comme la nôtre étouffe de sa postcolonialité et veut la dépasser c’est comme voir un amphibien suffoquer de sa nature hybride et réclamer la nécessité de renoncer à un de ces mode de vie : terrestre ou aquatique (algérien ou français par extrapolation). Vouloir dépasser sa situation de postcolonial c’est prétendre non pas réécrire l’histoire mais changer ses événements, ce qui est tout à fait contraire à la logique du temps. Tout au long de son article intitulé « Le postcolonial m’étouffe » l’auteur montre sa volonté candide à se libérer de ce qu’il appelle simplement ‘‘des explications postcoloniales’’ pour penser au-delà de la victimisation. Il réduit ainsi la pensée postcoloniale avec toute sa dimension philosophique et littéraire à une sorte de verbiage réactionnaire plus proche du discours sclérosant et désuet du parti unique sur la nécessité de la repentance de l’occident que d’un domaine d’études académiques avec des constellations théoriques bien cogitées.
La théorie postcoloniale, un domaine d’étude typiquement anglophone.
Il est important de souligner le retard qu’accuse le monde francophone quant à l’usage et la compréhension de la théorie postcoloniale. Bien que cette dernière soit philosophiquement très redevable aux corpus philosophique, littéraire et sociale de ce qu’on appelle communément la « french theory » et au poststructuralisme précisément, le monde de la critique littéraire francophone en générale et français en particulier demeure réticent voir hostile au postcolonial et il n’a commencé à en faire usage que dernièrement. Cela est tout à fait compréhensible quand on sait que la plupart des penseurs de la postcolonialité sont des anglophones et que les textes fondateurs de cette théorie n’ont commencé à être traduits en français que récemment ; Les Lieux de la culture de Homi Bhabha en 2007 et Les Subalternes peuvent-elles parler ? Et en d’autres mondes, en d’autres mots de Gayatri Spivak en 2009.
Je suis un être postcolonial, toi non plus !
Tout d’abord la notion du postcolonial ne doit pas être réduite aux limites temporelles du préfixe post car le postcolonial ne signifie pas nécessairement la période postérieur au colonialisme. Est postcoloniale tout ce qui relève du traumatisme culturelle produit par l’expérience coloniale. Bill Ashcroft définit le postcolonialisme alors comme : « toute culture affectée par le processus impérial depuis le moment de la colonisation jusqu’à nos jours » évoquant ainsi la possibilité d’inclure sous l’ébauche du postcolonial une continuité d’intérêt à déconstruire les maux de la société du colonisé ainsi que celle du colonisateur. Contrairement à l’anticolonialisme qui désigne souvent un ensemble de mouvements de résistance farouche au colonialisme, le postcolonialisme est un domaine d’études très ambitieux et dynamique qui propose une lecture tempérée de l’histoire culturelle du colonialisme et une évaluation/réévaluation perpétuelle de ses effets sur la société du colonisé ainsi que sur celle du colonisateur. En plus de cela le postcolonialism est différent de l’anticolonialisme dans la mesure où les constellations théoriques du premier proposent un dialogisme plutôt qu’un antagonisme à l’ancien colonisateur et sa culture. En développant des concepts tels : l’hybridité, l’ambivalence…etc qui entrelace la culture de l’ex-colonisé à celle de son ex-colonisateur, le postcolonialisme devient une pensée de réconciliation plutôt que d’antagonisme anticolonialiste. Cela va à l’encontre de ce que pense l’auteur de Meursault Contre-enquête dans son article « Le postcolonial m’étouffe » ou encore dans son article paru dans le quotidien d’Oran du Jeudi 13 Décembre 2018 sous le titre, « Lettre ouverte à l’exilé inapte au bonheur ». Daoud prend le Postcolonialisme pour un discours sur la nécessité de la repentance de l’occident, un rituel de la critique de la raison occidentale ou encore un discours de pleurnichards bien ancré dans le processus de victimisation. Il affirme par exemple que « La conscience postcoloniale a fini par développer des cloisonnements de confort, des narcissismes de victime ». Il pense, alors, que l’œuvre de Said, Spivak, Bhabha ou Robert J C Young constituent un savoir ou une conscience radicalisée qui n’accepte pas la nuance de l’autonomie de pensée (voir le postcoloniale m’étouffe). Dans son dernier article Lettre ouverte à l’exilé inapte au bonheur, l’auteur de Meursault contre-enquête récidive dans sa position et sa compréhension du postcolonialisme, une position candide mais qui arrive sur, le plan académique, à peine à démêler le vrai du faux. Il nous y livre certes un texte d’une esthétique inégalable, il fait preuve d’une sensibilité artistique très développée, ce qui lui permit de bien comprendre la psychologie de cet être exilé que Kristeva aurait appelé, un étranger à lui-même. Un être qui souffre, qui vit très mal ses multiples contradictions et ses fantasmes victimaires. Il est important, toutefois, de poser la question de savoir est-ce que cette personnalité de l’exilé développée archétype de l’être postcolonial ? Est-ce que l’identité postcoloniale, telle qu’elle était théorisée par Bhabha et autres n’est que lâcheté raffinée, gémissements et pleurnicheries ??!
Postcolonialisme, altérité et hybridité.
Les concepts tels l’hybridité et l’altérité, étant d’une importance majeure en postcolonialisme, marquent toute l’importance de l’autre et le désire d’unité et de réconciliation de l’univers culturel du colonisateur et celui du colonisé. Au cœur du débat postcolonial sur l’altérité, à titre d’exemple, il y a le vouloir promouvoir le dialogue et l’ouverture à l’autre et sa culture. Le discours postcolonial prône alors l’interculturalité et l’inclusion de l’autre dans le respect et la considération de ses différences plutôt que l’acculturation, la déculturation ou tout autre essentialisme identitaire. Contrairement à ce que Daoud pense, en tant que discours, le postcolonialisme prône un dialogisme plutôt qu’un antagonisme, une altérité plutôt qu’un exceptionnalisme, une propension à aller de l’avant et vivre la modernité plutôt qu’un atavisme sclérosant et un délire de persécution.
Boukhalfa Laouari – Algérie le 7 juin 2020